L'auberge Espagnole, Cédric Klapisch - ou comment résumer une année Erasmus en moins de deux heures.
Comme vous l'aurez compris (parce que j'ai dû le répéter déjà moultes fois sur ce blog), cette année je suis partie en Erasmus au Royaume-Uni. Il y a énormément de choses que j'aurais à en dire (et que j'aimerais dire) mais pour l'instant, j'ai un peu de mal à m'y mettre... Sans doute parce que ça voudrait dire que c'est bel et bien fini. Certes, ce n'est pas parce que je ne finis pas mon carnet de voyage que l'expérience n'est pas déjà terminée (elle EST en effet déjà terminée étant donné que je suis rentrée d'Angleterre le 1e juillet). MAIS, de là à me considérer prête à en faire le bilan final, ce n'est pas tout à fait la même chose, psychologiquement parlant... Mais je parlerai de tout cela plus tard et en plus détaillé. Pour l'instant je vais me servir d'un film (génial) que j'ai déjà cité sur ce blog au moment de mon départ pour cadrer le résumé que j'aimerais écrire maintenant sur mon année Erasmus.
Il s'agit de L'auberge Espagnole, de Cédric Klapisch. Autant vous dire que tout étudiant se préparant à un séjour Erasmus ne peut décemment partir sans le voir – et encore moins si vous partez en Espagne – l'action se passe en effet à Barcelone. Klapisch étant l'un des réalisateurs français que je préfère, je me suis empressée de montrer le film à mes amies Erasmus lorsque j'étais encore en Angleterre et ça faisait plusieurs semaines que j'avais envie de le revoir pour voir comment ça faisait, avec le recul post-expérience. Sauf que, comme j'avais justement peur de fondre en larmes en même temps que le héros lorsqu'il rentre en France, je tournais un peu autour de mon DVD...
Ce qui m'a forcée à passer outre mon appréhension hier soir, c'est le fait que je rentrais moi-même de Barcelone et que j'avais bien envie de voir si j'arrivais à reconnaître certains lieux qui figurent dans le film. Bref, comme bien souvent, ma jauge "envie" a fini par dépasser ma jauge "peur" et me voilà de nouveau plongée dans ce film que je connaissais par coeur. Sauf qu'après avoir vécu ma propre expérience, j'ai apprécié mille fois plus ! J'ai trouvé le récit tellement proche (et pourtant tellement différent aussi) de ma propre expérience que j'ai eu envie de souligner les différentes parties qui le composent et qui, pour moi, sont comme des passages obligés de l'année Erasmus.
[Si jamais vous n'avez pas vu le film, je vous conseillerai de le visionner avant de lire la suite. Voire de regarder le film, de partir en Erasmus, puis de revenir lire cet article et de me dire ce que vous en pensez. Enfin, c'est juste une idée :D]
Le synopsis en trois mots : Xavier (Romain Duris – l'acteur fétiche (et génial) de Klapisch) est un jeune parisien qui étudie l'économie sans trop savoir pourquoi. Il espère décrocher un poste au Ministère de l'Economie pour lequel son père l'a pistonné. C'est pour cela qu'il décide de partir en Espagne pour neuf mois. Laissant derrière lui sa mère baba cool (Martine Demaret) et sa petite amie un peu difficile (Audrey Tautou), il embarque pour Barcelone. Une année riche en enseignements suprenants et inattendus s'annonce...
1 – Le dossier :
En premier lieu, il y a bien sûr la décision. On a envie de bouger, de voir du nouveau, de saisir cette occasion en or de pouvoir étudier dans un pays étranger. Et ce genre de choses ne se décide pas au dernier moment ne serait-ce que parce qu'il faut le temps de rassembler tous les papiers. On stresse un peu jusqu'à la réponse finale : votre dossier a été retenu, vous n'avez plus qu'à accepter la place qu'on vous offre dans l'université d'accueil – et à vous lancer dans les démarches administratives supplémentaires que cela entraîne.
"Il a fallu que je me renseigne à ma fac sur les échanges universitaires européens. Ça s'appelle Erasmus. Et c'est un bordel innommable. [...] Pour m'inscrire à un DEA en Espagne, ça m'a pris trois mois." (5:41)
---------------------------------------------
2 – Le départ :
Tant qu'on est occupé à préparer tout ça, on n'a pas trop le temps de penser à ce que le départ entraînera – ou du moins on se focalise plutôt sur le positif, l'excitation. On est content de partir... et puis plus le jour décisif se rapproche et plus on a des doutes. On ne peut rien anticiper pour la bonne raison qu'on ne connaît pas encore les lieux, qu'on sait bien que ça dépendra des rencontres qu'on fera... Alors en attendant, on ronge son frein et on stresse un peu plus – finalisation des papiers, dernières réunions et enfin, les valises (grand moment de plaisir) et l'aéroport. Et alors, au moment de décoller... Au moment de décoller on se rend compte qu'on laisse derrière soi tout son petit monde, les gens qui vous aiment, la vie que vous vous êtes créée et dont le confort familier vous semble bien agréable et rassurant, tout d'un coup... On se demande pourquoi on part finalement. On se doute qu'on ne regrettera pas sa décision, mais on se pose quand même des questions : Est-ce que je ne fais pas une erreur ? Est-ce que je suis en train de tout casser ? Mes relations avec mes proches resteront-elles les mêmes ? Ce genre de choses... et on ressemble un peu à ça :
"Je vous ai vu pleurer dans l'avion... Vous aviez l'air tellement triste, ça m'a rendue triste aussi." "Ben oui... on se dit qu'on est content de partir, qu'on est fort... et puis une fois en l'air, moi j'savais plus trop... C'est pas facile de partir comme ça j'trouve. On laisse plein de trucs derrière, on sait pas trop où on va." (21:36)
---------------------------------------------
3 – L'installation :
Et puis après, on est lancé, alors on n'a pas le choix. Il y a de toute façon tellement de choses à faire une fois sur place qu'on n'a pas franchement le temps de réfléchir à ce qu'on vient de faire. L'excitation revient aussi, car on a tout à découvrir. On commence déjà à rencontrer les premières personnes qui feront partie de notre expérience (pour Xavier, ce sera le couple Jean-Michel et Anne-Sophie à l'aéroport). Mais c'est quand même bizarre d'être là. Pour être honnête, on ne comprend pas trop ce qu'on fiche ici. La seule raison qui fait qu'on se retrouve là, dans un environnement vierge dans lequel on n'a aucun repère et aucun souvenir, dans cette nouvelle vie qu'on se construit petit à petit et au jour le jour, c'est cette décision soudain très lointaine, abstraite et incompréhensible – le fameux jour où vous avez demandé à remplir un dossier.
"Quand on arrive dans une ville on voit des rues en perspective, des suites de bâtiments vides de sens. Tout est inconnu, vierge. [...] plus tard on aura habité cette ville, on aura marché dans ces rues, on aura été au bout des perspectives, on aura connu ces bâtiments, on aura vécu des histoires avec des gens. Quand on aura vécu dans cette ville, cette rue on l'aura pris dix, vingt, mille fois. [...] Au bout d'un moment, tout ça vous appartient parce qu'on y a vécu. C'est ce qui allait m'arriver, et je le savais pas encore." (13:34)
---------------------------------------------
Ensuite, ça devient un peu difficile de garder une chronologie type...
Mais il y a le nouveau chez-soi,
les cours (avec les difficultés que cela entraîne niveau compréhension, exigences, fonctionnement.. Dans le film, cela est bien représenté par le fait qu'un des professeurs donne son cours exclusivement en catalan),
les nouvelles rencontres,
les nouveaux repères...
Et tout ça varie selon sa propre expérience, bien entendu.
---------------------------------------------
Mais il reste selon moi certains moments "obligés" (et pas toujours agréables) qui font partie de l'éxpérience :
4 - Tomber malade :
Même un rhume tout con peut soudain vous faire paniquer un peu... Non seulement parce que vous ne connaissez pas forcément suffisamment bien les gens qui vous entourent pour leur demander de vous prendre les cours ou de vous apporter des médocs si vous avez quarante de fièvre mais aussi parce que, d'un coup, vous vous rendez compte qu'il va vous falloir aller chez un médecin qui ne parlera pas votre langue natale et que, d'ailleurs, ça ne fonctionne peut-être pas du tout pareil que chez vous. D'un coup vous vous reprochez de ne pas avoir prêté plus attention aux discours des gens de l'assurance maladie, de ne pas avoir lu les petites lignes des contrats de votre mutuelle... Vous pouvez visualiser avec précision dans votre tête le médicament qui vous soigne à tous les coups et que vous avez toujours dans votre pharmacie mais que, si ça se trouve n'existe même pas dans le pays où vous vous trouvez (ou possède un nom qui est juste imprononçable et/ou que vous ne connaissez même pas). En dehors des nombreuses crèves répétitives que j'ai chopées (météo anglaise oblige), j'ai aussi innové en peu en chontractant une conjonctivite... mais ce n'est qu'un exemple, à vous de faire mieux :D ! Xavier, lui, finit par tomber malade parce qu'il n'arrive pas à dormir – ce qui me mène d'ailleurs au passage obligé suivant.
"J'crois que ça va mal. Je dors plus, j'suis déprimé, j'sais pas si c'est normal..." (1:28:00)
---------------------------------------------
5 - Le n'importe quoi :
Parce qu'Erasmus est un truc qui se vit une fois, qu'on rencontre beaucoup de nouveaux gens dans un nouvel environnement, qu'on essaye en permanence de nouvelles choses et qu'on dépasse ses limites, on en vient à faire des choses qu'on n'aurait jamais cru faire un jour ou qu'on n'aurait jamais faites "avant". Alors on se perd un peu, on n'est plus trop sûr de qui on est... On a perdu ses habitudes pour en prendre de nouvelles et on finit par se demander si on est toujours la même personne. L'impression est d'ailleurs encore pire quand on retourne chez soi pour les vacances. On ressemble alors un peu à ça :
Heureusement, bien souvent, on reste pris dans son quotidien à cent à l'heure et on est trop occupé à en profiter au max pour vraiment s'en soucier. Et les occasions d'en profiter ne manquent pas... !
---------------------------------------------
6 – Les soirées :
On entend en effet beaucoup parler des "soirées Erasmus"... et pour cause ! De rencontre en rencontre (parce que Machin connaît Machin qui est en cours avec Machine et qui, d'ailleurs, habite avec Machin, etc), on finit par connaître un peu tous les autres étudiants internationaux. Et c'est souvent les mêmes qu'on retrouve à toutes les soirées, qu'elles soient organisées "officiellement" par l'association Erasmus de la fac comme lancées à la râche par un message collectif facebook vingt minutes avant l'heure de rendez-vous. Alors on finit par se sentir proche les uns des autres et à s'apprécier sans se connaître plus que ça, surtout au début, simplement parce qu'on vit tous un peu la même chose au même moment. Et là, je dois avouer qu'on ressemble souvent à ça :
Bien sûr, Erasmsus ne se résume (heureusement) pas en soirées qui finissent comme ça :
Non, il y a aussi les repas, les soirées DVD, les voyages entre amis et les longues discussions sur les différences entre les pays... (je suis convaincainte là, c'est bon ?)
---------------------------------------------
7 – Le retour :
Et puis, très vite, sans qu'on s'en rende compte, il faut déjà faire face aux préparatifs du retour (je sais, c'est déprimant). Alors c'est un peu le même bordel que pour le départ, en sens inverse et en un peu pire. D'une part parce que vous avez maintenant le double d'affaires à trier et à éventuellement ramener chez vous et qu'il faut néanmoins réussir à faire tenir dans les mêmes valises (voire la même valise), mais surtout parce que, contrairement à lorsque vous êtes parti de chez vous la première fois, vous savez cette fois-ci que ce voyage sera "sans retour". Je ne veux pas faire dans le dramatique – même si ça l'est un peu, surtout quand on le vit soi-même - mais on ne peut pas s'empêcher de se dire que, même si on revient habiter à l'endroit où on a vécu en tant qu'Erasmus, ce ne sera plus du tout pareil puisque l'ambiance et les gens qu'on y a connus n'y seront plus. C'est donc là que commence à arriver la "dépression post-Erasmus". On n'arrive pas à dire au revoir – on ne sait pas trop quoi dire d'ailleurs. On ne réalise pas que c'est fini. On fait la liste de tous les trucs qu'on aurait voulu faire et qu'on a pas eu le temps de faire parce qu'on était trop occupé... Et là on ressemble à ça :
"Voilà, j'allais partir le lendemain. On avait tous décidé d'aller dans un bar à côté pour se dire au revoir. Moi j'me sentais pas prêt. ... J-j'avais pas fini de faire mes bagages." (1:40:00)
---------------------------------------------
8 – Le post-Erasmus :
Et puis après on est rentré. On reprend les mêmes habitudes qu'avant, c'est un peu comme si on n'était jamais parti. On ne sait pas trop quoi raconter à propos de son année quand on nous demande "Alors, c'était comment ?". On trouve que tout a l'air bizarre (super FRANCAIS, par exemple). On a même du mal à reconnaître sa langue maternelle quand elle est parlée dans la rue. On se demande ce qu'on fout ici alors même qu'on venait juste de trouver sa place ailleurs, dans un autre pays. Et pourtant, ça paraît normal d'être rentré. Quelque part, on est content. Mais on se sent différent, on a un peu de mal à faire le point, le lien. Et alors, on ressemble à ça :
"Je me suis retrouvé dans les rues de Paris où les Parisiens vont jamais. J'étais un étranger parmi les étrangers. Pourquoi j'étais là je savais pas. J'ai en général jamais su pourquoi j'étais là où j'étais." (1:48:00)
---------------------------------------------
Et ce qui est trop bon quand on regarde L'Auberge Espagnole c'est qu'on se sent entièrement compris et qu'on peut rire de soi-même à travers les états d'âme de Xavier parce qu'on s'y reconnaît trop bien.
Le film met l'accent sur des détails qui rendent l'histoire encore plus vivante : les photos qui ornent la chambre, les étagères étiquetées du frigidaire, les fautes de langue toutes bêtes qu'on a du mal à éviter au quotidien parce qu'on n'a pas le temps de préparer les phrases dans la tête, le jonglage constant entre deux langues (parfois dans une même phrase – parce que des fois on se rend compte trop tard qu'il nous manque un mot pour continuer sa phrase), les visites de la famille et des amis, les habitudes qu'on laisse et qu'on reprend comme si de rien n'était (Xavier qui met le couvert chez sa mère), les leçons imprévues du séjour (Martine, la petite amie de Xavier, qui n'était sans doute pas la bonne pour lui), les occasions manquées (Neus la mignonne petite Espagnole que Xavier ne découvre vraiment qu'à la fin)... Ce sont tous ces petits détails que j'avais zappés jusque-là qui ont fait écho en moi lorsque j'ai re-regardé le film hier. La plus belle leçon reste que, évidemment, Xavier renonce à sa vague ambition première d'entrer au ministère de l'économie pour embrasser la voie dont il rêvait quand il était petit. L'Espagne lui a apporté bien plus qu'une ligne de plus sur son CV. Après s'être dépassé, il a maintenant le courage de suivre son rêve de toujours, qui est d'écrire – même si, dans l'immédiat, ça le fait ressembler à ça :
Et là aussi, je me retrouve tout particulièrement dans cette histoire puisqu'en septembre, j'ai la chance de rentrer dans le cursus professionnel que je voulais et qui se trouve être le même que celui de Xavier.
"Je choisis un avenir sans débouché. Je vais faire tout ce que j'ai toujours voulu faire – tout paraît clair, simple, limpide à présent. Je vais écrire." (1:51:00)
"J'suis français, espagnol, anglais, danois. J'suis pas un mais plusieurs. J'suis comme l'Europe, j'suis tout ça. J'suis un vrai bordel. J'peux enfin commencer à tout vous raconter. Tout a commencé là, quand mon avion a décollé. Non, non, c'est pas une histoire d'avion qui décolle, c'est pas une histoire de décollage... Après tout si, c'est une histoire de décollage." (1:53:00)
---------------------------------------------
Et pour clôturer, une chanson de Radiohead que Klapisch a l'air de beaucoup aimer vu le nombre de fois qu'il l'utilise dans le film - ce dont je peux uniquement le féliciter :
"No Surprises", Radiohead, OK Computer.