De l'intérêt de flâner dans les rues quand il fait beau et de suivre sans complexe ses instincts d'insecte*.
(*c'est-à-dire de rentrer quand il y a de la lumière)
Etant en pleine période pré-partiels, je me suis accordée, entre deux vernissages d'un festival pour lequel je suis bénévole, une petite aprèm shopping ensoleillée... (si, si, il y a un lien logique entre le début de la phrase et le reste, je vous assure ! ... Non mais vous comprenez, j'avais plus de pâte à fixe ni de crème hydratante il était donc tout à fait nécessaire que j'aille en ville, et notamment à Lush... ! Voilà... hum.) Bref.
En me baladant dans les ruelles pour éviter la surpeuplée rue Saint-Rome, je suis tombée sur une toute petite galerie d'Art que je n'avais jamais vue avant. Intriguée par les murs tout blancs, l'absence d'informations et surtout les paysages colorés exposés à l'intérieur, je me suis finalement décidée à pousser la porte "entrée libre". Personne dans la pièce d'entrée. Je commence à regarder les peintures autour de moi, à peine troublée par le léger décalage entre le calme du lieu et ma tenue vestimentaire (jean rouge pétard, T-shirt Muse-je-suis-allée-à-leur-super-concert-au-stade-de-France-et-je-m'y-suis-ruinée-en-achetant-ceci-tout-en-considérant-que-ça-valait-vachement-le-coup-d'où-le-fait-que-je-l'arbore-actuellement, sac Eastpak en bandouillère jaune poussin et casquette bleue à carreaux vissée sur le crâne (évidemment)).
Souvent, quand j'entre dans un lieu désert comme ça, j'ai presque envie de ne laisser aucune trace, de faire la "petite souris" et de ne rien toucher pour juste profiter un instant de l'ambiance ; m'imprégner du lieu et des tableaux puis disparaître avant que quelqu'un ne vienne... Bizarrement, ce genre d'endroit me donne presque l'impression de ne pas avoir le droit d'entrer, comme si j'allais déranger quelque chose. Peut-être parce qu'on ne se sent pas forcément à sa place. On se dit que c'est prétentieux de se juger apte à comprendre l'expression d'un artiste en un regard... Ou alors, plus simplement à cause de la sérénité du lieu. Un peu comme si on allait interrompre un dialogue silencieux entre les oeuvres (genre Toy Story, mais version tableaux, si ça se trouve ils ont une vie à eux une fois qu'on a le dos tourné... Bref.) De toute façon, pas la peine de penser à m'éclipser ici, le carillon de l'entrée avait bien fait son job - et puis, j'étais d'une bonne humeur imperturbable, un ogre à trois têtes m'aurait chassée à coups de massue en me beuglant "Y'avait marqué "entrée libre" mais c'était parce que je voulais que personne ne rentre, AAAARGH !" je serais quand même repartie en souriant.
Arrive donc - non pas un ogre - mais une petite madame en blazer et aux cheveux courts qui me présente immédiatement l'artiste exposé : il s'agit de Jean-Claude Machek, un artiste local et contemporain, qui a suivi une formation classique aux beaux-arts et présente ici ses paysages de la région, des huiles sur papier. "Celles-ci, me précise-t-elle en désignant quelques toiles sur le mur de droite, sont voulues par l'artiste comme des paysages érotiques." "Ah bon ?" Légèrement perplexe, je regarde d'un peu plus près et distingue en effet quelques formes suggestives ici ou là, sans toutefois me sentir particulièrement émoustillée. "D'accord..." ai-je finalement commenté, ma nouvelle devise "Et pouwquoi pas ?" en tête. Après être restée quelques instants avec moi et m'avoir posé quelques questions ("Vous reconnaissez les bords de la Garonne ?" (je dois dire que, dans ma bonne logique, ça ne m'avait même pas effleuré ; j'étais plutôt dans l'optique "Oh ! une rivière ! c'est joli :D"), "Vous êtes peintre ?" ("Heu non, pas du tout !")), elle finit par me laisser pour aller jouer quelques notes sur un piano dans la pièce d'à côté (la présence de l'instrument me paraît d'ailleurs, maintenant que j'y pense, vaguement incongrue ; pourtant sur le coup ça ne m'a pas étonnée plus que ça).
J'ai donc examiné à loisir les tableaux affichés et je dois dire que j'ai beaucoup aimé. Les couleurs sont très vives - et c'est bien ce qui m'a attirée à la base - étalées par de grands coups de pinceau large : beaucoup de jaune, de vert, de rose, de bleu... Le résultat est original, étrangement parlant, apaisant et même émouvant. Un peu énigmatique, aussi, comme le restera sûrement toujours un peu Mère Nature à nos yeux de pauvres humains dénaturés. Des vues campagnardes, telles qu'on a pu en peindre des millions de fois (meules de foin, champs, orée d'un bois...) mais la stylisation, le support (jamais vu des huiles sur papier avant !) et même le choix des vues, qui témoignait d'une nette influence photographique pour certaines, rendaient compte d'un travail vraiment personnel. En jetant un coup d'oeil sur le livret qui récapitulait son parcours, j'ai été intéressée de voir qu'il avait travaillé sur beaucoup de choses différentes - notamment sur des tableaux hyperréalistes, style qui m'a toujours impressionnée (pour le peu que j'en sais).
Je suis ensuite passée à l'autre salle où était exposé le reste des peintures et où se trouvaient le piano et le bureau de ma petite madame - ainsi que la petite madame elle-même, d'ailleurs. Comme je n'avais jamais vu la galerie avant, je lui ai posé quelques questions et s'est alors entamée une discussion très agréable. Elle aussi avait fait des études de lettres et en était, elle aussi, très contente - d'où un petit intermède sur mon programme, et notamment Rabelais (cf mon dernier craquage). Je n'ai pas pu m'empêcher de lui demander comment elle en était arrivée là ("Comment j'en suis "arrivée là" ? mais je ne suis pas en prison !" xD), intriguée que j'étais par son métier. Elle m'a alors révélée qu'elle avait toujours été entourée d'artistes, alors qu'elle-même ne savait pas tenir un pinceau, et qu'elle se voyait comme une sorte de transmetteur, comme le cuivre. Elle a ajouté : "Vous savez, on le sent quand on est à sa place et ici, je me sens bien.", phrase qui m'est restée en mémoire parce que, pour le coup, je voyais exactement ce qu'elle voulait dire. De plus, je concevais parfaitement qu'on puisse se sentir bien ici, entre ces murs frais et lumineux, rassurants. "Vous êtes sûre que vous n'êtes pas peintre ?" (bah oui, plutôt xD) "Heu non, non, je m'intéresse à l'Art en général, c'est tout." "J'ai écouté une émission sur France Culture qui était très intéressante ce matin. Ils essayaient de définir l'Art... vous devriez essayer de la podcaster, si vous pouvez." "Ah oui, je regarderai sur le site internet alors, merci !"
Après quelques minutes, est finalement entré quelqu'un - qui s'est ensuite révélé être sa fille et sa petite-fille - qui a interrompu notre conversation. J'ai alors terminé mon petit tour de la galerie et les ai rejointes dans l'entrée où la madame m'a présentée à sa famille. "Regardez ma petite-fille, elle est ADORABLE !" déclara-t-elle en toute objectivité. Pour le coup, la madame a eu de la chance que je sois tante (dite "Tine Mé") depuis presque deux ans sinon j'aurais peut-être peu partagé son enthousiasme devant l'enfant qui, j'avoue, était choupette avec ses petites chaussures, ses collants à motifs, sa robe et surtout ses grands yeux souriants qui me dévisageaient avec curiosité. Furent également invités à profiter de la convivialité ambiante deux types qui, comme moi deux minutes auparavant, hésitaient devant la vitrine ("N'hésitez pas à entrer, sinon on sert à rien nous vous savez !") et ça m'a amusée de les voir contraster gaiement avec le lieu eux aussi (ils étaient un peu dans le style lycéen/surfeur). Je remerciais la petite madame pour la conversation qui m'avait fait bien plaisir - "Mais à moi aussi !" - et les ai laissées en famille.
=> Bilan : Je préfère passer sous silence les sommes honteuses que j'ai dépensées cet après-midi là pour plutôt privilégier le fait que cet épisode m'a amenée à écouter une émission sur l'Art sur France Culture hier matin (même si je suis pas sûre que ce soit bien celle dont elle m'avait parlé xD), m'a donné envie de lire des traités sur le paysage (mais peut-être pas sur leur érotisme, quoique cette histoire m'intrigue un peu, quand même... xD) et m'a surtout fait ressentir la simple et douce satisfaction d'avoir profité pleinement de mon après-midi tout en m'enrichissant. Le pouvoir de l'Art, hein, c'est fou ! Et le truc encore plus fou, c'est que je viens de voir que l'exposition s'est terminée hier... Comme quoi j'aurais aussi bien pu passer à côté et ignorer totalement tout ça pour le restant de mes jours - ce qui n'aurait certes pas bouleversé l'intégralité du cosmos, mais quand même, je reste toujours médusée devant ces petits hasards qui rendent la vie de tous les jours si riche... !
=> La Galerie Concha de Nazelle,
5 rue du Puits Vert (juste à côté d'un super restau végétarien trop génial, La Faim des Haricots :D)