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Les Errances Enjouées de Neus Amaëlle
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Les Errances Enjouées de Neus Amaëlle
  • Les fantaisies d'une petite littéraire bien entourée, en quête de sérénité dans un monde joyeusement chaotique, qui aime écrire, s'intéresse à plein de trucs & trouve que la vie, même si c'est un peu n'importe quoi, c'est drôlement chouette, quand même.
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17 décembre 2012

Ôde à la vaisselle.

Extrait de

                                                                        

Chroniques de l'hypocrisie ordinaire

et autres exercices d'auto-persuasion mentale.

 

 

J'adore faire la vaisselle. Je l'avoue.

C'est devenu un véritable hobby, une passion. Je n'ai jamais besoin de me motiver pour la faire. C'est un plaisir aussi sain que simple. C'est sur cette simplicité immédiate que s'est fondée notre relation. C'est cette vertu qui en fait sa solidité. Elle m'appelle, je viens. Pas d'histoires. Elle sait être patiente quand cela est nécessaire. Elle sait que, malheureusement, d'autres tâches réclament mon attention et que je ne peux lui accorder tout mon temps libre.* En ces circonstances, l'honnêteté est de rigueur, toujours. Comme tout un chacun, elle ne peut endurer que l'endurable et elle a droit au respect. Son attente reste cependant de courte durée car le lien qui nous unit est tel que je cours la retrouver comme on irait retrouver un amant particulièrement doué. Elle est là, elle m'attend, nous nous étreignons et chaque embrassade est un délice voluptueux. Ce n'est pas une obligation, non, mais un échange, un désir partagé. Elle me complète. Elle m'est vitale. J'en ai besoin. D'un besoin quasi alimentaire.

 

 

J'adore faire la vaisselle. Je l'affirme.

Elle est méditation, elle est communion dans l'instant, elle est rencontre. Elle est moment d'instruction et de fusion avec l'univers. Elle me permet d'écouter, de régénérer mon énergie, d'adoucir mon tempérament et de propager l'amour. De volcan je deviens fleuve paisible et désaltérant, source cristalline dans laquelle les êtres aimés peuvent tremper leurs lèvres dans la flaque de ma bonté la plus profonde. Le dos visqueux de l'éponge disloquée grattant sur le résidu collé, le contact de ma peau avec l'eau sombre, le savon qui picote les coupures fraîches et ravive les blessures plus anciennes pour mieux les cicatriser, les rides qui se creusent autour de mes ongles amollis, les couverts qui s'alignent sur les stries de la plage inoxydable, les assiettes encore frémissantes d'écume qui, parfois, dégringolent en cascade, entraînant dans leur chute la tasse imprudente pour un ultime plongeon au fond du bac originel, le même d'où, encore souillées, elles venaient d'être extraites. Même le saladier de verre s'écrasant sur le lino telle la porcelaine du vase chinois se brisant sur la coquille du monstre de pierre ne saurait rompre la paix mentale qui m'habite toute entière. Tout au mieux laisserais-je un sourire stoïque, marque de sagesse humble, flotter sur mes lèvres avant que je ne m'empare de la pelle et de sa balayette.

 

 

J'adore faire la vaisselle. Je l'assume.

C'en est presque devenu une addiction que de mouiller mes mains dans cette eau délicieusement bigarrée, saupoudrée de débris organiques et autres minéraux cristallins à laquelle se mêle le scintillement mousseux de l'acide citronné. Surgit parfois à la surface un animal inattendu, un alevin mignonnet et gluant qui vous frôle affectueusement de la nageoire avant de se fondre dans l'étourdissant tourbillon de bulles du siphon décongestionné. J'aime me laisser surprendre par l'état naturel des choses et sais m'émerveiller des miracles de la vie. C'est pourquoi je suis toujours fascinée lorsque, quand par mégarde une poêle utilisée pour la dernière fois il y a fort longtemps échappe à ma vigilance, je la retrouve couverte d'un mucus épais aux odeurs forestières. La vie est partout, elle s'infiltre, elle n'est que beauté et lumière, et ce, qu'importe la noirceur de la moisissure que l'on contemple ! Ah ! comme je plains les pauvres âmes qui n'ont pas le luxe de s'offrir pareilles extases ! Car tant de mortels font l'erreur de déléguer la tâche à un autre qui en reçoit salaire ! Que ne manquent pas ces pécheurs mon Dieu, en négligeant telle offrande ! Toi-même qui as tendu ce cadeau aux Hommes, Vois comme ils T'en remercient ! Mais cela n'est pas malice, non, pareil comportement n'est rien d'autre qu'une marque supplémentaire de leur triste ignorance. Comme je les plains, ces miséreux qui ne connaissent ce bonheur ! Comme je les plains, ceux qui ne lavent plus leur vaisselle à la main pour confier la divine besogne à – oserais-je le dire – une machine ! Ceux-là se privent du goût, de la saveur et de la mucosité même de la vie.

 

 

"Hier, j'ai eu tellement la flemme de faire la pile de vaisselle vestige de tous mes repas de la semaine que j'ai commandé une pizza que j'ai mangée à même le carton d'emballage."

 

 

  

(Note de l'éditeur : Faisons ici état que, la vaisselle étant une activité ponctuelle, autrement dit une activité présentant un début et une fin, autrement dit une action que l'on peut accomplir dans son entier avec pour dénouement un résultat visible, autrement dit qui s'oppose aux actions sans but précis assigné (exemple : « il marchait ») et qui pourraient aussi bien ne trouver ni début ni fin, condamnant ainsi le pauvre bougre (admettons que le « il » recouvre ici un bougre – quoiqu'il aurait aussi bien pu renvoyer à quelque bonhomme ou qu'en sais-je, à un diplodocus nain – encore que la dernière occurrence serait pour le moins surprenante voire incongrue), il est relativement peu logique, disais-je, que de s'imaginer accorder tout son temps libre à l'action de faire la vaisselle puisque celle-ci, étant ponctuelle comme je le définissais précédemment, s'achève à partir de l'instant t où la pile de vaisselle anciennement sale s'égoutte sagement sur l'objet qui tire son nom du verbe pré-cité, à savoir l'égouttoir, en attendant d'être sollicitée à nouveau. Cela à moins que notre auteure ne se soit tellement énamourachée de ce passe-temps insolite et – n'ayons pas peur des mots – étrange (du latin extraneus, ce qualificatif désignant, évidemment, l'étranger, autrement dit ce qui nous est étranger, ce qui est étranger à la nation mère, fondatrice de notre cadre référentiel), à moins, disais-je, que l'énamourachement de notre amie pour son hobby, pour réutiliser ce terme emprunté chez nos voisins anglo-saxons (cet article n'étant sans doute pas le lieu approprié pour soulever quelconque débat quant à la place à accorder aux vocables acquis par contact entre communautés linguistiques distinctes, je me contenterais d'en faire simplement mention entre parenthèses), que le namourachètement de notre bien-aimée camarade ici présente ne soit conclusivement si fort qu'elle en soit poussée à relaver (le suffixe re impliquant le renouvellement de l'action – mais cela vous l'aviez sans doute déjà compris) les ustensiles, assiettes, couverts et plats (que le substantif même de vaisselle sous-entend) déjà propres afin de faire durer son bon plaisir. Quitte à salir volontairement quelques pèle-patates entre le rinçage de deux tournevis.)

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Commentaires
E
Génial
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