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Les Errances Enjouées de Neus Amaëlle
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Les Errances Enjouées de Neus Amaëlle
  • Les fantaisies d'une petite littéraire bien entourée, en quête de sérénité dans un monde joyeusement chaotique, qui aime écrire, s'intéresse à plein de trucs & trouve que la vie, même si c'est un peu n'importe quoi, c'est drôlement chouette, quand même.
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3 septembre 2010

"Une petite scène de rue de rien du tout"

[Tiré d'une histoire vraie]

(qu'est-ce que je suis drôle)

 

Toulouse. Jardin du Capitole. Par une journée de juin au temps maussade.



Une petite scène de rue de rien du tout.



Une dont on peut facilement être témoin tous les jours. Un truc banal au plus haut point. Un truc qui n'a pas dû durer plus de trente secondes. Un truc qui aurait aussi bien pu ne jamais se produire sans que ça n'ait aucun impact sur le reste du monde. Un truc très simple, au fond. Dont on oublie les détails tellement on l’a déjà vu des milliers de fois. Parce que les détails n'ont aucune importance en soi.

Et pourtant, ce moment-là, ce tout petit moment-là, a été le point culminant de ma journée. L'évènement marquant. The highest point of my day.

Je rentrais de chez une amie. J'étais dans un état bizarre. Celui, familier depuis quelques temps, où un rien m'émeut et où je ne saurais dire si ça me rend heureuse ou triste. J'écoutais de la musique. Ce nouveau groupe que je venais de découvrir par hasard et que je m'envoyais en boucle depuis deux jours, au risque d'en dégoûter mes voisins. Je marchais dans la rue. Il ne faisait ni beau, ni moche. Le vent s'infiltrait sous ma veste, me laissant présager une bonne crève à venir (une semaine avant le début de l'été. Top.). Mais il ne pleuvait pas, c'était déjà ça. Et puis il faisait bon, surtout quand le soleil arrivait à percer entre deux nuages.

Pas envie de prendre le métro. Juste de laisser mon esprit vagabonder entre deux pas effectués sur le rythme de la musique. Juste de marcher, et de regarder. Regarder les gens qui marchent, qui discutent, qui rient, qui flânent, qui mendient, qui vivent.

J'avais réussi à me repérer, ce qui tenait du miracle – moi qui ai toujours tendance à me perdre sur ces trop grandes avenues linéaires où il est justement impossible de se perdre. A cause des travaux sur l'avenue Alsace-Lorraine, j'ai été obligée de serrer sur la droite, et de contourner la station de métro Capitole par le petit jardin, histoire de ne pas rajouter un peu de chaos supplémentaire au trafic automobile en débarquant n'importe où sur la voie. Je ne regardais pas franchement où j'allais.

 

 

Et c'est là que je suis rentrée dans quelqu'un. Je ne l'avais pas vue, ni entendue venir. C'était une toute petite fille. Trois-quatre ans, peut-être. Brune, basanée, avec de grands yeux et ce regard grave et pénétrant dont seuls les enfants sont capables. Elle devait être en train de courir quand elle s'est heurtée à moi, parce que, dans son élan, elle est tombée par terre. Elle fit un tour complet sur elle-même avant de s'étaler dans le gravier, atterrissant sur le dos.

Dès l'impact, j'avais commencé à m'excuser, sans même encore savoir de quoi il s'agissait. Quand j'ai vu que c'était une petite fille que je venais de renverser, j'étais encore plus désolée. Je me suis immédiatement penchée sur elle pour lui demander si elle allait bien et m'excuser un peu plus. Elle ne dit rien, se contentant de me regarder avec ses yeux noirs. Impossible de dire si elle était blessée, ou juste un peu sous le choc. Elle avait simplement l'air un peu étourdie. Mais que faisait-elle là, sur le dos, par terre, avec cette inconnue qui voulait absolument savoir comment elle allait ?

L'accompagnateur – le père, en l'occurrence – ne tarda pas à rappliquer. Fou d'inquiétude, il s'agenouilla à côté d'elle pour s'enquérir de la santé de sa fille. Avait-elle mal quelque part ? Se vidait-elle de son sang ? La pauvre enfant ne répondait toujours rien, d'où l'initiative de baiser ses petites mains, juste au cas où l'absence de réponse serait en réalité le symptôme manifeste d'un sérieux traumatisme psychologique et/ou d'une violente hémorragie interne. L'intéressée directe demeurant muette malgré l'effervescence, j'entrepris cette fois de m'excuser auprès du père. « Hé bien il faudrait peut-être enlever ses écouteurs de ses oreilles et regarder où on met les pieds ! » rétorqua-t-il, véhément, en jetant un regard hostile à l'immonde néo-nazie qui venait d'envoyer valdinguer son innocente enfant dans un amas de ronces et d'orties et qui entendait à présent dissimuler son victorieux sourire malsain derrière un faux-semblant de condoléances surfaites.

 

Je décidai d'appliquer la règle numéro un face au parent atteint du syndrome d'inquiétude irrationnelle : ne pas tenter de discuter. En effet, l'individu, par le choc émotionnel intense résultant de la vue de son enfant par terre, n'est de toute façon pas en mesure de prendre le recul nécessaire pour rendre une justice objective. Inutile, donc, de souligner que la gamine aurait pu, elle aussi, se servir à bon escient de sa vision binoculaire et éviter un obstacle mobile, ou, à défaut de porter suffisamment d'attention à son environnement immédiat, au moins ne pas être en train de courir droit devant elle près de l'entrée d'une des stations de métro les plus usitées de la ville. Dans le cas présent, vous êtes forcément le méchant de l'histoire, ne serait-ce que parce que la victime est plus petite et plus mignonne que vous – et accessoirement parce que le juge est le père de la dite victime. De toute façon, vous ne pouvez nier être un tant soit peu responsable de la situation présente – le volume sonore de votre mp3 ne serait-il pas un peu fort, maintenant que le bonhomme vous le fait remarquer ?

Témoin de la scène, se présenta une jolie black qui, peut-être pour tirer de l'embarras la maladroite accusée, fit remarquer avec un sourire aimable que la petite n'avait pas l'air de souffrir le martyr, étant donné qu'aucun cri n'avait été poussé ni aucune larme versée.

 

Mais le père semblait déjà avoir oublié le reste du monde. Sa fille et lui se regardent dans les yeux, la petite main toujours dans les siennes. Le mal est passé. Tout va bien.

 

Me sentant déjà de trop, je glissai un dernier « encore désolée ». Le père leva alors les yeux sur moi. Voilà que la néo-nazie se révélait en réalité être une jeune fille rêveuse avec une casquette bleue et un sac jaune citron qui aimait (un peu trop ?) la musique. Il ne put retenir plus longtemps un sourire de soulagement et finit par admettre que « ça arrivait » - et apparemment même aux papas protecteurs les plus zélés. Je m'éclipsai en leur souhaitant à tous les deux une bonne soirée. En m'éloignant, je pouvais encore l'entendre répéter à la gamine que « la jeune fille n'avait pas fait exprès ».

Seul vestige de la mésaventure, un brin de paille pris dans la queue de cheval de la petite. Et pour moi, une émotion très forte et quasi-impossible à expliquer.


Je ne sais pas si c'était parce que j'ai revu American Beauty il n'y a pas longtemps ; si c'est parce que j'étais in the mood (comme on dit) ; ou si c'est parce que j'écoutais à ce moment-là ma chanson préférée d'Absynthe Minded, mais j'ai trouvé cet incident, cet événement qui n'en est même pas un, cette petite scène de rue de rien du tout... belle. Connement belle. Belle à en avoir les larmes aux yeux.

Peut-être parce que la chute elle-même était belle. J'aimerais pouvoir la voir au ralentie pour en détecter toute la grâce des mouvements. L'élan. Le heurt. La pirouette. La chute. L'atterrissage, indolore, sur le dos. Comme si elle s'était laissée aller... L'innocence de l'enfant qui court, droit devant lui, et qui, malgré l'obstacle inattendu, se laisse tomber, sans peur, confiant, comme si aucun mal ne pouvait lui arriver. Et surtout, le fait que, dans deux minutes, tout aura été oublié. Rien ne l'empêchera de courir à nouveau...

Peut-être aussi parce que l'attitude du père était touchante. L'empressement. Le besoin de prévenir, de guérir un mal qui n'existe même pas. La réaction disproportionnée, gonflée par l'inquiétude. Inquiétude qui serre le cœur comme un étau, pourtant presque drôle quand on a le recul suffisant. Et le soulagement final. Le sourire qui veut tout dire : plus rien, maintenant que l'enfant va bien, ne pourra jamais troubler le bonheur du monde.

Ou peut-être parce que j'ai assisté là à la plus merveilleuse des illusions humaines. Celle de tout bon parent. Celle qui dit à l'enfant que rien ne pourra jamais lui arriver pour la simple et bonne raison que papa ou maman est là pour faire un bisou magique qui fait disparaître n'importe quel bobo. La grande illusion, soigneusement entretenue, selon laquelle les parents, par le seul amour, inconsidéré, qu'ils ont pour leurs enfants, ont réellement la capacité de guérir n'importe quel mal qui pourrait jamais atteindre leur fils ou leur fille. Le leurre de l'enfance. Celui qu'on regarde, attendri, comme le plus beau de tous les mensonges une fois qu'on est assez grand pour le comprendre.

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