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Les Errances Enjouées de Neus Amaëlle
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Les Errances Enjouées de Neus Amaëlle
  • Les fantaisies d'une petite littéraire bien entourée, en quête de sérénité dans un monde joyeusement chaotique, qui aime écrire, s'intéresse à plein de trucs & trouve que la vie, même si c'est un peu n'importe quoi, c'est drôlement chouette, quand même.
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1 octobre 2010

"Le petit théâtre de la rue" - épisode 4

La vie réelle n'est pas aussi réaliste qu'on le croit.

 

Un soir, après un repas de classe organisé par un professeur de la fac, notre petit groupe d'étudiants décida de finir la soirée dans un bar (Le Filochard), à l'ambiance vaguement glauque mais toujours animée. C'était le prof lui-même qui avait parlé de ce bar, pour plaisanter... sauf que le second degré n'avait pas été perçu par certains, de sorte qu'il se sentit obligé de nous accompagner là-bas. Comme on discutait en tas à l'extérieur, quelques énergumènes à l'hygiène douteuse (et à l'hydratation et « cigarettes » encore plus douteuses) s'approchèrent de nous. En entendant que notre prof avait fait des études de philo dans une université de Paris, l'un d'eux s'écria : "Hé ! mais moi aussi !" et les voilà partis tous les deux à discuter d'élèves, de professeurs et de recoins cachés de la fac. La situation, déjà plutôt absurde à la base (voir son prof, hyper cultivé dans tous les domaines, toujours bien sapé, au vocabulaire soigné et étudié, en train de taper la causette à un mec bourré et/ou shooté), devint de plus en plus comique lorsque les trois personnages se sont réellement octroyés une place dans notre cercle. Comme nous ne nous connaissions déjà pas très bien entre nous, une fois la conversation entre anciens terminée, s'installa un léger blanc... vite rompu par l'intervention du philosophe à l'équilibre vacillant qui jugea le moment approprié (et à juste titre) pour balancer : "Le silence est la matrice du son".

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je trouve finalement cela assez criant (le cas de le dire, hahA !) de vérité ! S'il n'y avait pas de silence, il n'y aurait pas de bruit non plus, non ? ou alors on ferait plus la distinction entre les sons... bref, comme quoi la vérité sort de la bouche des bourrés (ou pas).

Mon fou-rire nerveux attira vraisemblablement son attention sur moi - pour être honnête, je ne me souviens plus vraiment comment je me suis retrouvée dans cette situation... - toujours est-il que le type décida de me déclamer un poème de sa composition. Pour cela, il était absolument nécessaire qu'il me prenne la main – logique xD – ce que je finis par lui céder après quelques réticences. Il se mit alors à me réciter son poème, les yeux dans le vague, totalement inspiré. C'est dommage que je ne m'en souvienne absolument pas... Mon amie la Fée qui se trouvait à côté de moi cachait très mal son fou-rire, de sorte que j'eus du mal à me retenir de mon côté. Voyant que je riais, il s'interrompit pour me demander si ça ne me plaisait pas. Je lui assurais que si, c'était très bien, mais qu'il allait un peu vite. Il décida alors de recommencer en intégralité, plus lentement – malgré mes encouragements à poursuivre. Je réussis cette fois-ci à garder mon sérieux. Il lâcha ma main et me remercia. "Vous êtes l'incarnation de la jeunesse !" me déclara-t-il avec emphase. (Oulà, pauvre jeunesse !) "La crise, vous vous en fichez, vous, hein ?" reprit-il en se penchant/titubant vers moi. "Oh ben, heu, non, quand même, c'est perturbant !" tentais-je d'argumenter. "Mais non, vous vous en fichez... !" Ayant deviné que mon poète était très probablement au chômage, et à présent un habitué du Filochard, je finis par lui dire ce qu'il voulait entendre, c'est-à-dire qu'en effet, je m'en fichais complètement.

Longtemps après cette soirée (qui remonte quand même à plus d'un an), j'ai repensé à cet homme. A chaque fois que je passais devant le bar en question, je me demandais s'il y allait encore, s'il avait remonté la pente...

Évidemment qu'à ce moment-là j'étais loin d'être la personne la plus touchée par la crise (et encore maintenant) : je suis protégée par le soutien financier de mes parents, je n'ai pas encore à affronter le terrible "monde du travail" et dans l'ensemble, ma vie d'étudiante est géniale... Je n'allais pas prétendre le contraire alors même que je passais une excellente soirée comme j'en passe très souvent. J'ai cependant trouvé marquant de voir que les gens tiennent à croire que les jeunes sont complètement insouciants. J'en suis venue à penser que les adultes aimaient à idéaliser certaines périodes de leur vie comme "le bon temps", que ce soit l'enfance ou la vie estudiantine. Moi, je n'y crois pas, à ce « bon temps ». Évidemment, à ces âges-là, on n'a pas tous les problèmes qu'on rencontre plus tard dans la vie (encore heureux, parce que si dès nos premières années on devait gérer la vie d'un adulte, merci bien), mais comment peut-on croire que les jeunes, qu'ils aient trois ou vingt ans, ne sont pas affectés par ce qu'il se passe autour d'eux ? Même les plus riches et donc les moins à plaindre (?), je suis persuadée que depuis leur prison dorée ils perçoivent énormément de leur environnement. Une perception niée pour certains, parce que c'est plus facile de se tenir éloigné de la misère de certaines personnes qu'on peut croiser dans la rue, ceux qui soulèvent de nombreuses questions dérangeantes à chacun de leurs pas. Et même si les enfants ne comprennent pas tout, ils ressentent l'atmosphère, ne serait-ce qu'à travers l'inquiétude de leurs parents, par exemple. Évidemment, c'est plus rassurant de croire que les jeunes sont libres, heureux et sans soucis ; mais quand je lis que la plupart des gens de ma génération ne croient pas en l'avenir, quand je vois tant de gens dans mon entourage abuser des soirées arrosées et/ou des drogues, quand j'entends parler d'accidents de voiture à l'issue tragique dus à des excès de vitesse, je me dis que ce n'est certainement pas dénué de rapports. Je ne dis pas que tout le monde va mal, ni que tous les jeunes sont désespérés et tentent n'importe quoi pour se sortir d'un univers qui leur convient mal, ni même que notre époque est particulièrement mauvaise par rapport à d'autres périodes de l'histoire. Je dis juste que beaucoup de liens invisibles se tissent entre les êtres et les choses, et qu'énormément nous échappent. Il me paraît aberrant de considérer les individus comme des entités autonomes qui vivent dans leur bulle (ça me rappelle la conception des « monades » de Leibniz). On ne peut pas couper un être vivant de son environnement, que ce soit une plante, un animal ou un homme ; on réagit toujours en fonction de ce qu'on perçoit, et c'est ce qui, à mon sens, fait la richesse infinie de la vie.

Je reconnais toutefois que c'est nettement plus facile, quand on voit un enfant qui joue, un couple qui s'embrasse, des étudiants qui font la fête, de se dire « quelle chance ils ont, de connaître le bonheur, de n'avoir aucun problème ! ». Ça donne de l'espoir, surtout quand on se sent accablé. Mais j'ai appris récemment que les apparences ne signifient pas grand-chose, et sont souvent trompeuses (une maxime vieille comme le monde mais qui reste toujours aussi vérifiable). Le bouddhisme dit que le véritable bonheur ne dépend pas des conditions extérieures - même si elles entrent évidemment en jeu, que ce soit pour tirer vers le bas ou pour donner un coup de pouce - pour la bonne raison que le bonheur se cultive à l'intérieur de soi. C'est à travers une sorte de sérénité bienveillante qu'il convient de regarder aux alentours. Sans toutefois prétendre à un optimisme niais qui consiste à se répéter que tout va bien dans le meilleur des mondes (car c'est loin d'être le cas). Je pense qu'on peut trouver un équilibre qui consiste à appréhender la réalité sous toutes ces facettes, les agréables comme les moins agréables tout en restant confiant. Ces idées-là me paraissent pleines de bon sens et c'est ce que j'ai décidé de croire.

Il n'y a rien de mal à regarder les gens être heureux ; au contraire, c'est génial de voir un spectacle pareil ! Et des gens heureux, il y en a plein. Seulement, quand j'entends les personnes âgées dire « Oh oui, à ton âge de toute façon, on n'a aucun problème ! », sous-entendant par-là que c'est beau de voir les jeunes vivre dans leur monde plein d'illusions, bien éloigné du monde réel, je pense que c'est plutôt eux qui n'ont pas envie de voir la vérité en face, parce que c'est plus rassurant de penser qu'en effet, les jeunes n'ont pas peur et ne se préoccupent pas de l'avenir. Mais, quand on vous tient un discours pareil, le mieux reste probablement d'acquiescer.

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